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Culture Générale . Parents . Éducateurs . Professeurs des écoles . Professeurs du secondaire . Article ou présentation . 2015, 01 Janvier . La question du mois . Pasc@line . numérique . Gilles DowekSur la définition du mot « numérique ».
Dans son sens le plus restreint (on dit numérique une information qui se présente sous forme de nombres) à son sens le plus large en lien avec une culture numérique, ce mot, nom ou adjectif, est avant tout polysémique: il signifie beaucoup (trop ?) de choses. Pour aider à s’y retrouver Gilles Dowek, à l’invitation de Pasc@line, nous en donne ici une acception neutre du nom commun « le numérique » avant d’expliquer une des raisons pour lesquelles il est un piège potentiel.
L’adjectif, et parfois le nom, « numérique » a de multiples significations. On tente ci-dessous d’essayer d’en distinguer cinq. Ces significations sont reliées les unes aux autres par des glissements sémantiques relativement simples.
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Qui a rapport aux nombres. L’adjectif «numérique» qualifie, en premier lieu, une chose qui a rapport aux nombres. Par exemple, en physique, une «application numérique» consiste à substituer des nombres aux variables d’une expression : par exemple substituer m par 2 kg et a par 9.81 m s-2 dans l’expression m a donne la valeur 19.62 kg m s-2.
En particulier, l’adjectif «numérique» désigne une manière de représenter partiellement une fonction sous la forme d’un tableau de nombres, souvent arrondis. Par exemple, la solution de l’équation différentielle y‘ = 2x, y(0) = 0, peut s’exprimer symboliquement par l’expression : y = x2, elle peut aussi s’exprimer numériquement par le tableau : t[0] = 0, t[1] = 1, t[2] = 4, t[3] = 9, … On retrouve cet usage du mot «numérique» dans l’expression «analyse numérique» qui est la partie de l’informatique et des mathématiques appliquées consacrée à la résolution d’équations différentielles, en donnant leurs solutions sous forme numérique.
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Qui contient une quantité finie d’information. L’adjectif «numérique» qualifie ensuite un objet qui, comme un nombre entier, contient une quantité finie d’information. Si une photo argentique permet en théorie une variété infinie de couleurs, une photo numérique n’en permet qu’un nombre fini et prédéterminé. Cette propriété, ajoutée au fait que la photo contient un nombre fini de pixels, fait que l’information contenue dans la photo numérique est finie : c’est le produit du nombre de pixels par le logarithme du nombre de couleurs. Par métonymie, on peut qualifier d’ «appareil photo numérique», un appareil qui prend des photos numériques.
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Un synonyme de l’adjectif «informatique». En informatique, les algorithmes, exprimés dans des langages et exécutés par des machines, transforment des données. Ces données, objets de la transformation, sont la «cause matérielle» de la transformation, alors que les machines en sont la «cause efficiente». Ces données contiennent une quantité finie d’information, ce sont donc des objets numériques.
Comme les algorithmes et les ordinateurs transforment des objets numériques, on utilise parfois l’adjectif «numérique», comme synonyme de l’adjectif «informatique». Par exemple, un espace de travail peut-être qualifié de «numérique», alors que, pour dire la même chose, un «courrier» est qualifié d’«électronique» et un virus d’«informatique». Mais l’usage aurait pu aussi figer les expressions «espace électronique de travail», «courrier informatique» et «virus numérique». La multiplication des synonymes de l’adjectif et du nom «informatique» peut s’expliquer par une usure rapide des mots, dans un domaine où l’innovation est sacralisée, qu’elle soit réelle ou factice.
Il y a un certain nombre de situations où la substitution, à l’adjectif «informatique», de l’adjectif «numérique» qui en qualifie la cause matérielle est naturelle. Par exemple, on définit souvent les révolutions industrielles par leur cause matérielle (la vapeur, le pétrole, les objets numériques) ou par leur cause efficiente (la machine à vapeur, le moteur à explosion, l’ordinateur et le réseau), plutôt que par le nom des sciences et des techniques qui étudient et produisent ces objets (la thermodynamique, la pétrochimie, l’informatique). Ainsi, même si les deux expressions sont employées, on parle plus volontiers de «révolution numérique» que de «révolution informatique». De même on parle plus souvent de «société industrielle» ou de «société numérique» que de «société physico-chimique» ou de «société informatique».
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Hybride avec une part d’informatique. Comme beaucoup de sciences et de techniques, l’informatique est utilisée dans de multiples domaines de la connaissance et de l’action qu’elle transforme en profondeur. Par exemple la révolution qu’apporte l’informatique en archéologie a mené à l’émergence d’un nouveau champ de la connaissance : «l’archéologie numérique».
Ici aussi, d’autres qualificatifs sont parfois employés pour exprimer la même chose : «conception assistée par ordinateur», «bio-informatique», …
L’émergence de la conception numérique (conception assistée par ordinateur), d’usines numériques (robotisées) et de la distribution numérique (vente en ligne), permet de parler d’une «économie numérique», une économie dont tous les secteurs (conception, production, diffusion) sont devenus numériques.
Le fait de ne pas employer le mot «application», qui est trompeur, est plutôt une bonne chose. L’expression «archéologie numérique» est préférable à «informatique appliquée à l’archéologie», car la première expression insiste sur la transformation de l’archéologie elle-même et non uniquement sur le fait que certaines méthodes issues de l’informatique s’appliquent en archéologie.
On peut, de même, qualifier le monde de «numérique» pour exprimer le fait qu’il contient de nombreux champs de la connaissance et de l’action qui sont devenus numériques.
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Ensemble des domaines de la connaissance et de l’action qui peuvent être qualifiés de «numériques». Comme beaucoup d’adjectifs, l’adjectif numérique peut se substantiver, et on emploie alors l’expression «le numérique» pour désigner l’ensemble des domaines de la connaissance et de l’action qui peuvent être qualifiés de «numériques». Ainsi, «le numérique» contient à la fois l’archéologie numérique, la conception assistée par ordinateur, la vente en ligne, …
Un effet paradoxal du succès de l’informatique est que beaucoup de choses peuvent être qualifiées par l’adjectif «numérique» et que le nom commun «le numérique» a de ce fait une extension très vaste. Ainsi, la phrase «Le numérique fait une entrée fracassante à l’École» est-elle susceptible de multiples interprétations.
Ce flou créé par l’ampleur de l’extension du nom commun «le numérique» est exploité par certains locuteurs qui désignent ainsi un vaste ensemble de manière syncrétique, ce syncrétisme les dispensant d’une analyse précise de l’objet qu’ils cherchent à désigner.